Une école vétérinaire privée en France : Vraie solution ou fausse bonne idée ?
Romain Dréo
La France et le monde vétérinaire
La France est le berceau de la médecine vétérinaire depuis la création au 18ème siècle de la première école mondiale permettant l'enseignement de la médecine des animaux : l'école nationale vétérinaire de Lyon en 1761 par Claude Bourgelat. Quatre années plus tard, l'Ecole Nationale Vétérinaire (ENV) d'Alfort a vu le jour.
La France compte aujourd'hui quatre ENV sur son territoire. Historiquement, l'enseignement scientifique français était réservés aux étudiants les plus brillants dans de nombreux domaines, la création des classes préparatoires aux grandes écoles en sont la continuité.
Aujourd'hui, le métier de vétérinaire se voit dans le besoin d'une plus grande diversité de raisonnements, d'intelligences, de parcours afin de donner à ce métier plus d'ampleur et lui permettre de répondre aux différents enjeux des métiers se rapprochant du règne animal au XXIème siècle.
Plusieurs problèmes se posent dans le monde vétérinaire Français : tout d'abord la désertification du milieu rural avec une perte du suivie médical de nombreux troupeaux, ensuite une croissance folle de la demande en animaux de compagnies qui n'est pas comblée par le nombre de diplômés, enfin le système français basé sur une formation longue et une sélection exigeante ne conduisant pas à une diversité culturelle, sociale et intellectuelle.
La progression exponentielle du nombre d'animaux de compagnies et la concentration des besoins en médecine canine dans les grandes agglomérations entrainent une forte demande de vétérinaire cliniciens. Un métier certes mieux payé que le rural, mais un âge moyen du départ de l'Ordre assez faible : 47 ans, contre 60 ans pour la médecine humaine. Le métier de vétérinaire clinicien le plus représenté en France n'est-il plus un métier réjouissant ? La clinique actuelle n'est-elle pas ce que les étudiants concevaient du métier de vétérinaire ? Comment faire pour montrer les vrais tenants et aboutissants du métier de vétérinaire ?
Pourtant les écoles vétérinaires forment les étudiants pour l'ensemble des grandes voies vétérinaires : canine, rurale, équine, recherche.... Manque-t-il une sélection sur la motivation et sur les projets professionnels dans la voie qualifiée de « royale » qu'est la classe préparatoire ? Le cursus d'enseignement manque-t-il de réelle formation par les stages ? En effet les étudiants possèdent peu de créneaux disponibles pour réaliser leurs stages. Il doivent effectivement les réaliser sur leur temps de vacances d'été, alors que nombreux sont les étudiants désireux de travailler pour payer leurs études. Il en ressort également, un manque d'entraide et de fraternité chez certains vétérinaires dans la formation des étudiants lors des stages.
Un projet d'école vétérinaire privée ?
UniLaSalle, fondée en 1854 par les Frères des Écoles chrétiennes et comptant aujourd'hui plus de 1500 établissements dans son réseau mondial, vient de proposer en ce début d'Octobre 2020 un projet d'École vétérinaire privée.
En effet, UniLaSalle vient de déposer un amendement dans le cadre de la loi de Programmation de la recherche (2021- 2030). Sa volonté est de modifier le code rural qui ne permet pas, à l'heure actuelle, la création d'école vétérinaire privée.
Beaucoup d'étudiants vétérinaires s'y opposent, par exemple les étudiants de l'école lyonnaise sont pour 97 % défavorable à la création de cette école privée pour 70 % de participation au sondage.
Cette école vétérinaire privée pourra-t-elle répondre aux enjeux et menaces du monde vétérinaire français d'ici les prochaines années, ou n'est-ce qu'une fausse bonne idée d'UniLaSalle ?
Régler le problème des déserts ruraux ?
Ce projet d'école privée voit le jour dans le but de réduire la désertification rurale des vétérinaires. C'est à ce sujet que plusieurs débats éclatent au sein de la communauté étudiante et professionnelle vétérinaire. Voici quelques arguments en sa défaveur : cet établissement privé devra suivre les codes de l'enseignement vétérinaire français et être sous le contrôle des ministères de l'Agriculture et de L'enseignement supérieur, afin de bénéficier d'une équivalence européenne. Cette école privée ne pourra pas former préférentiellement des vétérinaires ruraux. Ce n'est pas l'objectif de l'enseignement vétérinaire qui doit être complet sur de nombreuses espèces afin d'élargir l'action du vétérinaire et de faciliter les reconversions dans les différents métiers vétérinaires.
Tout ceci sans parler de l'aspect économique des études vétérinaires privées. Les étudiants français connaissent déjà le principe des écoles à coût très élevés. Certains pays européens comme l'Espagne, le Portugal, la Belgique ou encore l'Angleterre ouvrent des places pour les étudiants français. Les frais de scolarité peuvent monter jusqu'à 100 000 € pour la totalité du cursus. Même si la volonté de cette école privée est une sélection sur projet professionnel et motivations orientés vers le monde rural, l'aspect économique sélectionne de lui-même des étudiants dont la motivation pourrait être ailleurs.
En France, les ENV possèdent des frais de scolarité d'environ 10 000 € pour les 5 ans, mais sont totalement gratuites pour les étudiants boursiers. Ceci permet l'ouverture du cursus vétérinaire à tous le monde par l'abolition de la contrainte budgétaire et l'ouverture de places réservés à d'autres voies que les classes préparatoires.
Le projet d'UniLaSalle prévoit des promotions de 120 étudiants post-bac pour un montant de 90 000 € par étudiant. Deux cas de figure peuvent être mis en évidence : d'un côté certains étudiants devront s'endetter pour leurs études, de l'autre, les étudiants d'une classe plus aisée, pourront s'appuyer sur l'aide financière de leurs parents. Pensons-nous vraiment que des étudiants endettés, ou provenant d'une classe supérieure, seront les plus propices à se tourner préférentiellement vers le métier de vétérinaire d'animaux de rentes des territoires désertés, alors qu'un clinicien possède un salaire plus élevé et des contraintes horaires plus faibles ?
L'augmentation du flux de vétérinaires français et de ceux formés à l'étranger n'arrive pas à combler le manque de vétérinaires ruraux. Pour le monde vétérinaire, la création de cette école privée n'est pas la solution à ce problème majeur en France.
Un problème d'inadéquation qualitative ?
Pour Laurent Perrin, président du Syndicat des vétérinaires d'exercice libéral, la possibilité d'une formation à double vitesse entre le privé et le public pourrait être préjudiciable pour l'enseignement des étudiants sans la présence de la recherche au sien de l'école. Car les écoles nationales vétérinaires sont des lieux de production et de transmission de savoirs. « La recherche est le coeur de ces écoles permettant une formation d'excellence ».
Le monde scientifique médical et biologique est un monde très controversé, nous l'avons bien vu avec cette crise sanitaire de La COVID-19 que nous traversons. Les intérêts de chacun peuvent passer avant la vérité scientifique et avant l'exactitude et la rigueur scientifique. Ce dernier doit pourtant être la norme et le crédo des hommes et femmes pratiquants des sciences qui paraissent accessibles pour tout le monde, mais si complexes et intéressantes quand nous nous y plongeons. La question du possible financement de cette école par des industries alimentaires ou pharmaceutiques et du biais qu'elles pourraient exercer sur l'enseignement fourni est très intéressante. Tout ceci est a relativiser en prenant en compte l'emprise que possède les grands industriels de l'alimentaire animal sur les étudiants vétérinaires des quatre écoles nationales...
Pour Isabelle Chmitelin, Directrice générale de l'enseignement et de la recherche et diplômée de l'ENVT en 1985, le problème de l'inadéquation qualitative devra être maitrisé par la mise en place d'un agrément préalable et d'évaluations régulières de l'enseignement.
L'amélioration de l'enseignement vétérinaire français, un enjeu de taille et urgent !
Depuis 2012, la formation vétérinaire publique a ouvert 160 places intramuros en augmentant les effectifs dans les 4 écoles vétérinaires. Mais ceci ne correspond toujours pas à la demande d'environ 1000 vétérinaires diplômés par an dans les prochaines années. Un budget de 6 millions d'euros par école et par année sera nécessaire pour faire passer de 160 à 200 étudiants par promotions d'après Jean-Yves Gauchot, président de la Fédération des Syndicats Vétérinaires de France (FSVF).
Nous pouvons également discuter de la durée du cursus français : entre 7 et 9 ans sans redoublement, ce qui est loin de la moyenne de 5 ans des autres pays européens.
Le ministère de l'enseignement supérieur à déjà lancé la transition et l'amélioration de l'enseignement vétérinaire par la mise en place, dès la rentrée 2021, d'une prépa intégrée dans chaque ENV. Une classe préparatoire d'un an, accessible sur concours et motivation en lien avec un projet professionnel. Ceci permettra de réduire d'un an le cursus et d'orienter cette année sur la propédeutique ( « pour » « l'étudiant »), c'est-à-dire l'initiation de l'approche vétérinaire. De plus, la mise en place d'un tutorat rural et le projet d'aides à l'installation de vétérinaires dans les zones de déserts ruraux sont des améliorations non négligeables de l'enseignement vétérinaire. Mais malheureusement il reste beaucoup de travail à faire dans ce sens...
Un projet à jeter à l'eau ?
Alors, qu'en est-il de ce projet d'école privée ? Pour beaucoup d'acteurs du monde vétérinaire, cette école ne permettra pas de régler le problème de la désertification rurale, mais la formation de 120 étudiants vétérinaires supplémentaire chaque année n'est pas négligeable car nous manquons fortement de niveaux diplômés chaque années. Certes, l'enseignement y sera fortement contrôlé et devra répondre aux besoins du monde vétérinaire mais beaucoup pensent à une formations moins bonne que dans les ENV. Même si cela tend à y être prouvé, en effet la création de cette école privée pourrait créer une forte concurrence et obligerait le domaine public à améliorer sa formation.
Ce projet privé ne pourrait-il pas servir d'élément déclencheur à la prise de conscience gouvernementale dans le but d'améliorer l'enseignement vétérinaire français ?
Nous n'avons qu'à regarder le triste rang de nos écoles au classement Shangaï des universités mondiales situées entre la 700 et 800ème place. Qu'elle ironie pour le pays fondateur de l'enseignement de la médecine vétérinaire mondiale...
Quelques ressources supplémentaires :
Interviews :
Laurent Perrin et Jean-Yves Gauchot